Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/99

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vait le renvoyer. Puis, ce furent cent francs pour l’achat d’une lessiveuse, jusqu’à des dix francs de pommes de terre et des cinquante sous de poisson. Elle en était arrivée à entretenir Lazare et l’usine, par petites sommes honteuses, au jour le jour ; et elle tomba plus bas, aux centimes du ménage, aux trous de la dette bouchés misérablement. Vers les fins de mois surtout, on la voyait sans cesse disparaître d’un pas discret et revenir presque aussitôt, la main dans sa poche, d’où elle se décidait à sortir, pour une facture, des sous un à un. L’habitude se trouvait prise, elle achevait de vivre sur le tiroir du secrétaire, emportée, ne résistant plus. Pourtant, dans l’obsession qui la ramenait toujours là, le meuble, lorsqu’elle baissait le tablier, jetait un léger cri, dont elle restait énervée. Quel vieux bahut ! dire qu’elle n’avait jamais pu s’acheter un bureau propre ! Ce secrétaire vénérable, qui, bourré d’une fortune, avait d’abord donné à la maison un air de gaieté et de richesse, la ravageait aujourd’hui, était comme la boîte empoisonnée de tous les fléaux, lâchant le malheur par ses fentes.

Un soir, Pauline rentra de la cour, en criant :

— Le boulanger !… On lui doit trois jours, deux francs quatre-vingt-cinq.

Madame Chanteau se fouilla.

— Il faut que je monte, murmura-t-elle.

— Reste donc, reprit la jeune fille étourdiment, je vais monter, moi… Où est ta monnaie ?

— Non, non, tu ne trouverais pas… C’est quelque part…

La tante balbutiait, et toutes deux échangèrent le muet regard qui les faisait pâlir. Il y eut une hésitation pénible, puis madame Chanteau monta,