Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/101

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eu l’obligeance de se détourner d’un voyage, afin de visiter l’usine, était demeuré plein de gêne devant les appareils, trop agrandis peut-être, disait-il, pour fonctionner avec la régularité des petits appareils de son cabinet. En somme, l’expérience semblait faite, la vérité était que, dans ces réactions du froid, on n’avait pas encore trouvé le moyen de maintenir au degré voulu les basses températures, nécessaires à la cristallisation des corps. Lazare tirait bien des algues une certaine quantité de bromure de potassium ; mais, comme il n’arrivait point ensuite à isoler suffisamment les quatre ou cinq autres corps qu’il lui fallait jeter aux déchets, l’exploitation devenait un désastre. Il en était malade, il se déclarait vaincu. Le soir où madame Chanteau et Pauline le supplièrent de se calmer, de tenter un suprême effort, il y eut une scène douloureuse, des mots blessants, des larmes, des portes jetées avec une violence telle, que Chanteau effaré sautait dans son fauteuil.

— Vous me tuerez ! cria le jeune homme en s’enfermant à double tour, bouleversé par un désespoir d’enfant.

Au déjeuner, le lendemain, il apporta une feuille de papier couverte de chiffres. On avait déjà mangé près de cent mille francs, sur les cent quatre-vingt mille francs de Pauline. Était-ce raisonnable de continuer ? Tout y passerait ; et sa peur de la veille le blêmissait de nouveau. D’ailleurs, sa mère à présent lui donnait raison ; jamais elle ne l’avait contrarié, elle l’aimait jusqu’à la complicité de ses fautes. Seule, Pauline essaya de discuter encore. Le chiffre de cent mille francs venait de l’étourdir. Comment ! on en était là, il lui avait pris plus de la moitié de sa fortune ! cent mille francs allaient être perdus,