Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/108

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— Tiens ! criait-elle, tu racontes des bêtises… Nous songerons à mourir quand nous serons vieux.

L’idée de la mort, qu’elle traitait si gaiement, le rendait chaque fois sérieux, le regard fuyant. Il détournait d’ordinaire la conversation, après avoir murmuré :

— On meurt à tout âge.

Pauline finit par comprendre que la mort épouvantait Lazare. Elle se souvenait de son cri terrifié, autrefois, en face des étoiles ; elle le voyait maintenant pâlir à certains mots, se taire comme s’il avait eu à cacher un mal inavouable ; et c’était pour elle une grosse surprise, cet effroi du néant, chez le pessimiste enragé qui parlait de souffler les astres, ainsi que des chandelles, sur le massacre universel des êtres. Le mal datait de loin, elle n’en soupçonnait même pas la gravité. À mesure qu’il avançait en âge, Lazare voyait se dresser la mort. Jusqu’à ses vingt ans, à peine un souffle froid l’avait-il effleuré le soir, quand il se couchait. Aujourd’hui, il ne pouvait poser la tête sur l’oreiller, sans que l’idée du plus jamais vînt lui glacer la face. Des insomnies le prenaient, il était sans résignation, devant la nécessité fatale qui se déroulait en images lugubres. Puis, lorsqu’il avait cédé à la fatigue, un sursaut l’éveillait parfois, le mettait debout, les yeux grands d’horreur, les mains jointes, bégayant dans les ténèbres : « Mon Dieu ! mon Dieu ! » Sa poitrine craquait, il croyait mourir ; et il devait rallumer, il attendait d’être éveillé complètement pour retrouver un peu de calme. Une honte lui restait de cette épouvante : était-ce imbécile, cet appel à un Dieu qu’il niait, cette hérédité de la faiblesse humaine criant au secours, dans l’écrasement du monde ! Mais la crise revenait quand même cha-