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LA JOIE DE VIVRE.

Chanteau donnait sur son fils. Ils se réfugiaient là, sous le prétexte de moins entendre les cris du père, tordu en bas par la goutte ; et ils y vivaient, sans toucher à un livre, sans ouvrir le piano, uniquement occupés d’eux, s’étourdissant de causeries interminables.

Le jour où l’accès de Chanteau fut à son paroxysme, la maison entière trembla de ses cris. C’étaient des lamentations, longues, déchirées, pareilles aux hurlements d’une bête qu’on égorge. Après le déjeuner, avalé rapidement dans une exaspération nerveuse, madame Chanteau se sauva, en disant :

— Je ne peux pas, je me mettrais à hurler aussi. Si l’on me demande, je suis chez moi, à écrire… Et toi, Lazare, emmène vite Louise dans ta chambre. Enfermez-vous bien, tâche de l’égayer, car elle a vraiment du plaisir ici, cette pauvre Louisette !

On l’entendit, à l’étage supérieur, fermer sa porte violemment, tandis que son fils et la jeune fille montaient plus haut.

Pauline était retournée près de son oncle. Elle seule restait calme, dans sa pitié pour tant de douleur. Si elle ne pouvait que demeurer là, elle voulait au moins donner au malheureux le soulagement de ne pas souffrir solitaire, le sentant plus brave contre le mal, lorsqu’elle le regardait, même sans lui adresser la parole. Pendant des heures, elle s’asseyait ainsi près du lit, et elle arrivait à l’apaiser un peu, de ses grands yeux compatissants. Mais, ce jour-là, la tête renversée sur le traversin, le bras étendu, broyé au coude par la souffrance, il ne la voyait même pas, il criait plus fort, dès qu’elle s’approchait.

Vers quatre heures, Pauline, désespérée, alla trouver Véronique à la cuisine, en laissant la