Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/205

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malecs, comme si elle avait eu à garder le pucelage d’une fille ; ce qui n’empêchait pas ses mains crochues d’y creuser de jolis trous… Ah ! bon sang ! elle en a joué, une comédie, pour vous flanquer sur les bras l’affaire de l’usine, puis pour faire bouillir la marmite avec le reste du magot. Voulez-vous savoir ? eh bien ! sans vous, ils auraient tous crevé de faim… Aussi a-t-elle eu une belle peur, quand les autres de Paris ont failli se fâcher, à propos des comptes ! Dame ! vous pouviez l’envoyer droit en cour d’assises… Et ça ne l’a pas corrigée, elle vous mange encore aujourd’hui, elle vous grugera jusqu’au dernier liard… Vous croyez peut-être que je mens ? Tenez ! je lève la main. J’ai vu de mes yeux et entendu de mes oreilles, et je ne vous dis pas le plus sale, par respect, mademoiselle, comme lorsque vous étiez malade et qu’elle rageait seulement de ne pas pouvoir fouiller dans votre commode.

Pauline écoutait, sans trouver un mot pour l’interrompre. Souvent, cette idée que sa famille vivait sur elle, la dépouillait avec aigreur, avait gâté ses journées les plus heureuses. Mais elle s’était toujours refusée à réfléchir sur ces choses, elle préférait vivre dans l’aveuglement, en s’accusant elle-même d’avarice. Et, cette fois, il lui fallait bien tout savoir, la brutalité de ces confidences semblait encore aggraver les faits. À chaque phrase, sa mémoire s’éveillait, elle reconstruisait des histoires anciennes dont le sens exact lui avait échappé, elle suivait, jour par jour, le travail de madame Chanteau autour de sa fortune. Lentement, elle s’était laissée tomber sur une chaise, comme accablée tout à coup d’une grande fatigue. Un pli douloureux coupait ses lèvres.