Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/231

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l’oubliait complètement, ne s’inquiétait jamais de ce qu’il devenait dans la journée. Quand il se penchait, elle tendait la joue, paraissait trouver naturel ce bonsoir rapide, absorbée à chaque heure davantage dans l’égoïsme instinctif de sa fin. Et il s’échappait, Pauline abrégeait la visite, en inventant un prétexte pour le renvoyer.

Mais chez lui, dans la grande chambre du second, le tourment de Lazare redoublait. C’était surtout la nuit, la longue nuit, qui pesait à son esprit troublé. Il montait des bougies pour ne pas rester sans lumière ; il les allumait les unes après les autres, jusqu’au jour, saisi de l’horreur des ténèbres. Quand il s’était couché, vainement, il tâchait de lire, ses anciens livres de médecine seuls l’intéressaient encore ; et il les repoussait, il avait fini par en avoir peur. Alors, les yeux ouverts, il demeurait sur le dos, avec l’unique sensation qu’il se passait près de lui, derrière le mur, une chose affreuse dont le poids l’étouffait. Le souffle de sa mère moribonde était dans ses oreilles, ce souffle devenu si fort, que, depuis deux jours, il l’entendait de chaque marche de l’escalier, où il ne se risquait plus sans presser le pas. Toute la maison semblait l’exhaler comme une plainte, il croyait en être remué dans son lit, inquiet des silences qui se faisaient parfois, courant pieds nus sur le palier, pour se pencher au-dessus de la rampe. En bas, Pauline et Véronique qui veillaient ensemble, laissaient la porte ouverte, afin d’aérer la chambre. Et il apercevait le pâle carré de lumière dormante que la veilleuse jetait sur le carreau, et il retrouvait le souffle fort, élargi, prolongé dans l’ombre. Lui aussi, quand il rentrait se coucher, laissait sa porte ouverte, car il avait le besoin d’entendre