Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/235

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avait fait, montant, descendant, regardant au loin la mer, dont le bercement immense achevait de l’étourdir. La marche invincible des minutes, par instants, se matérialisait, devenait en lui la poussée d’une barre de granit qui balayait tout à l’abîme. Puis, il s’exaspérait, il aurait voulu que tout fût terminé, pour se reposer enfin de cette abominable attente. Vers quatre heures, comme il montait une fois de plus à sa chambre, il entra brusquement chez sa mère : il voulait voir, il avait le besoin de l’embrasser encore. Mais, quand il se pencha, elle continua de dévider l’écheveau embrouillé de ses phrases, elle ne tendit même pas la joue, du mouvement fatigué dont elle l’accueillait depuis sa maladie. Peut-être ne le vit-elle point. Ce n’était plus sa mère, ce visage plombé, aux lèvres noires déjà.

— Va-t’en, lui dit Pauline avec douceur, sors un peu… Je t’assure que l’heure n’est pas venue.

Et, au lieu de monter chez lui, Lazare se sauva. Il sortit, en emportant la vision de ce visage douloureux, qu’il ne reconnaissait plus. Sa cousine lui mentait, l’heure allait venir ; seulement, il étouffait, il lui fallait de l’espace, il marchait comme un fou. Ce baiser était le dernier. L’idée de ne revoir jamais sa mère, jamais, le secouait furieusement. Mais il crut que quelqu’un courait après lui, il se tourna ; et, quand il reconnut Mathieu, qui tâchait de le rejoindre avec ses pattes lourdes, il entra dans une rage, sans raison aucune, il prit des pierres qu’il lança au chien, en bégayant des injures, pour le renvoyer à la maison. Mathieu, stupéfait de cet accueil, s’éloignait, puis se retournait et le regardait d’un œil doux, où semblaient luire des larmes.