Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/263

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avait fait la veille, n’attendant rien de plus, espérant le lendemain sans fièvre. Véronique avait beau grogner devant son fourneau, devenue fantasque, travaillée de caprices inexplicables, une vie nouvelle chassait le deuil de la maison, les rires d’autrefois réveillaient les chambres, montaient allègrement l’escalier sonore. Mais l’oncle surtout paraissait ravi, car la tristesse lui avait toujours été lourde, il chantait volontiers la gaudriole, depuis qu’il ne quittait plus son fauteuil. Pour lui, l’existence devenait abominable, et il s’y cramponnait avec l’étreinte éperdue d’un infirme qui veut durer, même dans la douleur. Chaque jour vécu était une victoire, sa nièce lui semblait chauffer la maison d’un coup de bon soleil, aux rayons duquel il ne pouvait mourir.

Pauline avait un chagrin pourtant : Lazare échappait à ses consolations. Elle s’inquiétait de le voir retomber dans ses humeurs sombres. Au fond du regret de sa mère, il y avait chez lui une recrudescence de l’épouvante de la mort. Depuis que le temps effaçait le premier chagrin, cette épouvante revenait, grossie de la crainte du mal héréditaire. Lui aussi mourrait par le cœur, il promenait la certitude d’une fin tragique et prochaine. Et, à toute minute, il s’écoutait vivre, dans une telle excitation nerveuse, qu’il entendait marcher les rouages de la machine : c’étaient les contractions pénibles de l’estomac, les sécrétions rouges des reins, les sourdes chaleurs du foie ; mais, au-dessus du bruit des autres organes, il était surtout assourdi par son cœur, qui sonnait des volées de cloches dans chacun de ses membres, jusqu’au bout de ses doigts. S’il posait le coude sur une table, son cœur battait dans son coude ; s’il appuyait sa nuque à un dossier