Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/269

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gens étaient si malheureux ! Depuis la marée qui avait emporté la maison des Houtelard, la plus solide de toutes, et trois autres, des masures de pauvres, la misère augmentait encore. Houtelard, autrefois le riche du pays, s’était bien installé dans une vieille grange, vingt mètres en arrière ; mais les autres pêcheurs, ne sachant où s’abriter, campaient maintenant sous des sortes de huttes, construites avec des carcasses de vieux bateaux. C’était un dénuement pitoyable, une promiscuité de sauvages, où femmes et enfants grouillaient dans la vermine et le vice. Les aumônes de la contrée s’en allaient en eau-de-vie. Ces misérables vendaient les dons en nature, les vêtements, les ustensiles de cuisine, les meubles, afin d’acheter des litres du terrible calvados, qui les assommait, comme morts, en travers des portes. Seule, Pauline plaidait toujours pour eux ; le curé les abandonnait, Chanteau parlait de donner sa démission, ne voulant plus être le maire d’une bande de pourceaux. Et Lazare, quand sa cousine tâchait de l’apitoyer sur ce petit peuple de soûlards, battu par les gros temps, répétait l’éternel argument de son père.

— Qui les force à rester ? Ils n’ont qu’à bâtir ailleurs… On n’est vraiment pas si bête, de se coller ainsi sous les vagues !

Tout le monde faisait la même réflexion. On se fâchait, on les traitait de sacrés entêtés. Alors, ils prenaient des airs de brutes méfiantes. Puisqu’ils étaient nés là, pourquoi donc en seraient-ils partis ? Ça durait depuis des cent ans et des cent ans, ils n’avaient rien à faire autre part. Ainsi que le disait Prouane, lorsqu’il était très ivre : « Fallait bien toujours être mangé par quelque chose. »