Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/317

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— Quoi donc ?… Est-ce que papa est menacé ?

— Non, écoute… Il faut enfin aborder ce sujet, car cela n’avance à rien de nous taire. Tu te rappelles que ma tante avait fait le projet de nous marier ; nous en avons parlé beaucoup, et il n’en est plus question depuis des mois. Eh bien, je pense qu’il serait sage à cette heure d’abandonner ce projet.

Le jeune homme était devenu pâle ; mais il ne la laissa pas finir, il cria violemment :

— Quoi ? que chantes-tu là ?… Est-ce que tu n’es pas ma femme ? Demain, si tu veux, nous irons dire à l’abbé d’en finir… Et c’est ça que tu appelles des choses sérieuses !

Elle répondit de sa voix tranquille :

— C’est très sérieux, puisque tu te fâches… Je te répète qu’il faut en causer. Certes, nous sommes de vieux camarades, mais je crains fort qu’il n’y ait pas en nous l’étoffe de deux amoureux. À quoi bon nous entêter dans une idée, qui ne ferait peut-être le bonheur ni de l’un ni de l’autre ?

Alors, Lazare se jeta dans un flot de paroles entrecoupées. Était-ce une querelle qu’elle lui cherchait ? Il ne pouvait pourtant pas être tout le temps à son cou. Si l’on avait remis de mois en mois le mariage, elle savait qu’il n’en était point la cause. Et c’était injuste de lui dire qu’il ne l’aimait plus. Il l’avait tant aimée, dans cette chambre précisément, qu’il n’osait l’effleurer de ses doigts, par terreur d’être emporté et de se mal conduire. À ce souvenir du passé, une rougeur monta aux joues de Pauline : il avait raison, elle se rappelait ce court désir, cette haleine ardente dont il l’enveloppait. Mais combien ces heures de frissons délicieux étaient loin, et quelle froide amitié de frère il lui témoignait