Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/320

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et je m’en irais en Amérique, et je ne vous reverrais jamais, ni l’une ni l’autre.

Longuement, elle s’efforça de le calmer et de le raisonner. Ne pouvait-il donc une fois prendre la vie comme elle était, sans exagération ? Ne voyait-il pas qu’elle lui parlait avec sagesse, après avoir beaucoup réfléchi ? Ce mariage serait excellent pour tout le monde. Si elle en causait d’une voix si paisible, c’était que loin d’en souffrir maintenant, elle le souhaitait. Mais, emportée par son désir de le convaincre, elle eut la maladresse de faire une allusion à la fortune de Louise et de laisser entendre que Thibaudier, le lendemain du mariage, trouverait pour son gendre une situation.

— C’est cela, cria-t-il, repris de violence, vends-moi à présent ! Dis tout de suite que je ne dois plus vouloir de toi, parce que je t’ai ruinée, et qu’il me reste à commettre la vilenie d’aller ailleurs épouser une fille riche… Ah ! non, tiens ! tout cela est trop sale. Jamais entends-tu ? jamais !

Pauline, à bout de force, cessa de le supplier. Il y eut un silence. Lazare était retombé sur la chaise, les jambes brisées, tandis qu’elle, à son tour, marchait dans la vaste pièce, mais avec lenteur, en s’attardant devant chaque meuble ; et, de ces vieilles choses amies, de la table qu’elle avait usée de ses coudes, de l’armoire où les jouets de son enfance étaient enfouis encore, de tous les souvenirs qui traînaient là, lui remontait au cœur un espoir qu’elle ne voulait pas entendre, et dont la douceur pourtant la gagnait peu à peu tout entière. S’il l’aimait réellement assez pour refuser d’être à une autre ! Mais elle connaissait les lendemains d’abandon, cachés sous la fougue première de ces beaux senti-