Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/333

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fantillages d’amoureux sur sa femme, des baisers pris, des niches faites, étalant son bonheur pour remercier celle qu’il appelait « ma sœur chérie ». C’étaient ces détails, ces passages familiers qui donnaient aux doigts de Pauline une légère fièvre. Elle restait comme étourdie par l’odeur d’amour qui montait du papier, une odeur d’héliotrope, le parfum préféré de Louise. Ce papier avait dormi près de leur linge : elle fermait les yeux, voyait les lignes flamboyer, continuer les phrases, la mettre dans l’intimité étroite de leur lune de miel. Mais, peu à peu, les lettres se firent plus rares et plus courtes, son cousin cessa de parler de ses affaires et se contenta de lui envoyer les amitiés de sa femme. D’ailleurs, il ne donnait aucune explication, il cessait simplement de tout dire. Était-il mécontent de sa situation et la finance le répugnait-elle déjà ? le bonheur du ménage se trouvait-il compromis par des malentendus ? La jeune fille en était réduite aux suppositions, elle s’inquiétait de l’ennui, de la désespérance, qu’elle sentait au fond des quelques mots, envoyés comme à regret. Vers la fin d’avril, après six semaines de silence, elle reçut un billet de quatre lignes, où elle lut que Louise était enceinte de trois mois. Et le silence recommença, elle n’eut plus de nouvelles.

Mai et juin se passèrent encore. Une marée brisa un des épis. Ce fut un incident considérable dont on causa longtemps : tout Bonneville ricanait, des pêcheurs volèrent les charpentes rompues. Il y eut une autre aventure, la petite Gonin, à peine âgée de treize ans et demi, accoucha d’une fille ; et l’on n’était pas sûr que ce fût du fils Cuche, car on l’avait vue avec un vieil homme. Puis, le calme retomba, le village vivait au pied de la falaise, comme une des végéta-