Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/385

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même eu le cœur de finir de manger, les yeux sur son assiette encore pleine.

— Ça ne va donc pas bien ? murmura-t-il.

Lazare haussa rageusement les épaules. Madame Bouland, qui gardait tout son calme, lui conseillait de ne pas perdre le temps davantage.

— Prenez la carriole. Le cheval ne marche guère. Mais, en deux heures, deux heures et demie, vous pouvez aller et revenir… D’ici là, je veillerai.

Alors, dans une détermination brusque, il s’élança dehors, avec la certitude qu’il retrouverait sa femme morte. On l’entendit jurer, taper sur le cheval, qui emporta la carriole, au milieu d’un grand bruit de ferrailles.

— Que se passe-t-il ? demanda de nouveau Chanteau, auquel personne ne répondait.

La sage-femme remontait déjà, et Pauline la suivit, après avoir simplement dit à son oncle que cette pauvre Louise aurait beaucoup de mal. Comme elle offrait de le coucher, il refusa, s’obstinant à rester pour savoir. Si le sommeil le prenait, il dormirait très bien dans son fauteuil, ainsi qu’il y dormait des après-midi entières. À peine se retrouvait-il seul, que Véronique rentra, avec sa lanterne éteinte. Elle était furieuse. Depuis deux ans, elle n’avait pas lâché tant de paroles à la fois.

— Fallait le dire, qu’ils viendraient par l’autre route ! Moi qui regardais dans tous les fossés et qui suis allée jusqu’à Verchemont comme une bête !… Là-bas encore, j’ai attendu une grande demi-heure, plantée au milieu du chemin.

Chanteau la regardait de ses gros yeux.

— Dame ! ma fille, vous ne pouviez guère vous rencontrer.