Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/409

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terre devant l’enfant, qu’elle n’avait pas encore regardé. Comme il était chétif ! quel pauvre être à peine formé ! Et une dernière révolte montait en elle, sa santé protestait contre ce fils misérable que Louise donnait à Lazare. Elle baissait un regard désespéré vers ses hanches, vers son ventre de vierge qui venait de tressaillir. Dans la largeur de son flanc, aurait tenu un fils solide et fort. C’était un regret immense de son existence manquée, de son sexe de femme qui dormirait stérile. La crise dont elle avait agonisé pendant la nuit des noces recommençait, en face de cette naissance. Justement, le matin, elle s’était éveillée ensanglantée du flux perdu de sa fécondité ; et, à ce moment même, après les émotions de cette terrible nuit, elle le sentait couler sous elle, ainsi qu’une eau inutile. Jamais elle ne serait mère, elle aurait voulu que tout le sang de son corps s’épuisât, s’en allât de la sorte, puisqu’elle n’en pouvait faire de la vie. À quoi bon sa puberté vigoureuse, ses organes et ses muscles engorgés de sève, l’odeur puissante qui montait de ses chairs, dont la force poussait en floraisons brunes ? Elle resterait comme un champ inculte, qui se dessèche à l’écart. Au lieu de l’avorton pitoyable, pareil à un insecte nu sur le fauteuil, elle voyait le gros garçon qui serait né de son mariage, et elle ne pouvait se consoler, et elle pleurait l’enfant qu’elle n’aurait pas.

Mais le pauvre être vagissait toujours. Il se débattit, elle eut peur qu’il ne tombât. Alors, sa charité s’éveilla devant tant de laideur et tant de faiblesse. Elle le soulagerait au moins, elle l’aiderait à vivre, comme elle avait eu la joie de l’aider à naître. Et, dans l’oubli d’elle-même, elle acheva de lui donner les premiers soins, elle le prit sur ses genoux, pleu-