Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/436

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— Mes chers enfants, dit-elle en pénétrant brusquement dans la chambre, vous allez dire que ça ne me regarde pas, seulement vous criez trop fort… Il n’y a pas de bon sens à vous révolutionner de la sorte et à consterner la maison.

Elle avait traversé la pièce, elle se hâtait avant tout de fermer la fenêtre, laissée entrouverte par Louise. Heureusement, ni le docteur ni le curé n’étaient restés sur la terrasse. Dans un coup d’œil vivement jeté, elle venait de n’y retrouver que Chanteau songeur, à côté du petit Paul endormi.

— On vous entendait d’en bas, comme si vous aviez été dans la salle, reprit-elle. Voyons, qu’y a-t-il encore ?

Mais ils étaient lancés, ils continuèrent la querelle, sans paraître même s’être aperçus de son entrée. Elle, maintenant, se tenait immobile, reprise de son malaise, dans cette chambre où les époux couchaient. La cretonne jaune ramagée de vert, la carpette rouge, les vieux meubles d’acajou avaient fait place à des tentures de laine épaisse et à un ameublement de femme délicate ; plus rien ne restait de la mère morte, un parfum d’héliotrope s’exhalait de la toilette, sur laquelle traînaient des serviettes mouillées ; et cette odeur l’étouffait un peu, elle faisait d’un regard involontaire le tour de la pièce, dont chaque objet disait les abandons du ménage. Si elle avait enfin accepté de vivre près d’eux, dans l’usure quotidienne de ses révoltes, si désormais elle pouvait dormir la nuit, tout en les sachant là, peut-être aux bras l’un de l’autre, elle n’était pas encore entrée chez eux, au milieu de leur intimité conjugale, dans ce désordre des vêtements jetés partout et du lit déjà prêt pour