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LA JOIE DE VIVRE.

pas un baigneur ne se montrait à Bonneville. Eux avaient découvert, à un kilomètre du village, du côté de Port-en-Bessin, un coin adorable, une petite baie enfoncée entre deux rampes de roches, et toute d’un sable fin et doré. Ils la nommèrent la baie du Trésor, à cause de son flot solitaire qui semblait rouler des pièces de vingt francs. Là, ils étaient chez eux, ils se déshabillaient sans honte. Lui, continuant de causer, se tournait à demi, boutonnait son costume. Elle, un instant, tenait à sa bouche la coulisse de sa chemise, puis apparaissait serrée aux hanches, ainsi qu’un garçon, par une ceinture de laine. En huit jours, il lui apprit à nager : elle y mordait davantage qu’au piano, elle avait une bravoure qui lui faisait souvent boire de grands coups d’eau de mer. Toute leur jeunesse riait dans cette fraîcheur âpre, quand une lame plus forte les culbutait l’un contre l’autre. Ils sortaient luisants de sel, ils séchaient au vent leurs bras nus, sans cesser leurs jeux hardis de galopins. C’était encore plus amusant que la pêche.

Les journées passaient, on était arrivé au commencement d’août, et Lazare ne prenait aucune décision. Pauline devait, en octobre, entrer dans un pensionnat de Bayeux. Lorsque la mer les avait engourdis d’une lassitude heureuse, ils s’allongeaient sur le sable, ils causaient de leurs affaires, très raisonnablement. Elle finissait par l’intéresser à la médecine, en lui expliquant que, si elle était un homme, ce qu’elle trouverait de plus passionnant, ce serait de guérir le monde. Justement, depuis une semaine, le Paradis terrestre allait mal, il doutait de son génie. Certes, il y avait eu des gloires médicales, les grands noms lui revenaient, Hippocrate,