Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/52

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
52
LES ROUGON-MACQUART.

elle, il lui semblait diminué de taille, courbé sous le vent qui soufflait de l’ouest.

Ce soir-là, une nouvelle venue les attendait dans la salle à manger, en causant avec Chanteau. Depuis huit jours, on comptait sur Louise, une fillette d’onze ans et demi qui passait, chaque année, une quinzaine à Bonneville. Mais, deux fois, on était allé inutilement à Arromanches ; et elle tombait tout d’un coup, le soir où l’on ne songeait point à elle. La mère de Louise était morte dans les bras de madame Chanteau, en lui recommandant sa fille. Le père, M. Thibaudier, un banquier de Caen, s’était remarié six mois plus tard, et avait trois enfants déjà. Pris par sa nouvelle famille, la tête cassée de chiffres, il laissait la petite en pension, s’en débarrassait volontiers aux vacances, quand il pouvait l’envoyer chez des amis. Le plus souvent, il ne se dérangeait même pas, c’était un domestique qui avait amené mademoiselle, après huit jours de retard. Monsieur avait tant de tracas ! Et le domestique était reparti tout de suite, en disant que monsieur ferait son possible pour venir en personne chercher mademoiselle.

— Arrive donc, Lazare ! cria Chanteau. Elle est ici !

Louise, souriante, baisa le jeune homme sur les deux joues. Ils se connaissaient peu pourtant, elle toujours cloîtrée dans son pensionnat, lui sorti du lycée depuis un an à peine. Leur amitié ne datait guère que des dernières vacances ; et encore l’avait-il traitée cérémonieusement, la sentant coquette déjà, dédaigneuse des jeux bruyants de l’enfance.

— Eh bien ! Pauline, tu ne l’embrasses pas ? dit madame Chanteau qui entrait. C’est ton aînée, elle a dix-huit mois de plus que toi… Aimez-vous bien, ça me fera plaisir.