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LES ROUGON-MACQUART.

chaque samedi jouer aux dames avec Chanteau, bien que le maire, grâce à l’excuse de sa goutte, ne mît jamais les pieds à l’église. Madame Chanteau, d’ailleurs, faisait le nécessaire, en suivant régulièrement les offices et en y conduisant Pauline. C’était la grande simplicité du curé qui séduisait peu à peu l’enfant. À Paris, on méprisait devant elle les curés, ces hypocrites dont les robes noires cachaient tous les crimes. Mais celui-ci, au bord de la mer, lui paraissait vraiment brave homme, avec ses gros souliers, sa nuque brûlée de soleil, son allure et son langage de fermier pauvre. Une remarque l’avait surtout conquise : l’abbé Horteur fumait passionnément une grosse pipe d’écume, ayant encore des scrupules pourtant, se réfugiant au fond de son jardin, seul au milieu de ses salades ; et cette pipe qu’il dissimulait, plein de trouble, quand on venait à le surprendre, touchait beaucoup la petite, sans qu’elle eût pu dire pourquoi. Elle communia d’un air très sérieux, en compagnie de deux autres gamines et d’un galopin du village. Le soir, comme le curé dînait chez les Chanteau, il déclara qu’il n’avait jamais eu, à Bonneville, une communiante qui se fût si bien tenue à la Sainte-Table.

L’année fut moins bonne, la hausse que Davoine attendait depuis longtemps sur les sapins, ne se produisait pas ; et de mauvaises nouvelles arrivaient de Caen : on assurait que, forcé de vendre à perte, il marchait fatalement à une catastrophe. La famille vécut chichement, les trois mille francs de rente suffisaient bien juste aux besoins stricts de la maison, en rognant sur les moindres provisions. Le grand souci de madame Chanteau était Lazare, dont elle recevait des lettres qu’elle gardait pour elle. Il semblait se