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Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/63

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LA JOIE DE VIVRE.

— Oh ! il est inutile de tant travailler. Leur examen est d’une bêtise ! Si je n’ai pas été reçu, c’est que je n’ai pas pris la peine de vouloir… Je vais enlever ça, puisque mon manque de fortune m’empêche de vivre les bras croisés, la seule chose intelligente qu’un homme ait à faire.

Dès les premiers jours d’octobre, lorsque Louise fut retournée à Caen, Pauline se remit à ses leçons avec sa tante. Le cours de la troisième année allait porter particulièrement sur l’Histoire de France expurgée et sur la Mythologie à l’usage des jeunes personnes, enseignement supérieur qui devait leur permettre de comprendre les tableaux des musées. Mais l’enfant, si appliquée l’année précédente, semblait maintenant avoir la tête lourde : elle s’endormait parfois en faisant ses devoirs, des chaleurs brusques lui empourpraient la face. Une crise folle de colère contre Véronique, qui ne l’aimait pas, disait-elle, l’avait mise au lit pour deux jours. Puis, c’étaient en elle des changements qui la troublaient, un lent développement de tout son corps, des rondeurs naissantes, comme engorgées et douloureuses, des ombres noires, d’une légèreté de duvet, au plus caché et au plus délicat de sa peau. Quand elle s’étudiait, d’un regard furtif, le soir, à son coucher, elle éprouvait un malaise, une confusion, qui lui faisait vite souffler la bougie. Sa voix prenait une sonorité qu’elle trouvait laide, elle se déplaisait ainsi, elle passait les jours dans une sorte d’attente nerveuse, espérant elle ne savait quoi, n’osant parler de ces choses à personne.

Enfin, vers la Noël, l’état de Pauline inquiéta madame Chanteau. Elle se plaignait de vives douleurs aux reins, une courbature l’accablait,