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LES ROUGON-MACQUART.

des accès de fièvre se déclarèrent. Lorsque le docteur Cazenove, devenu son grand ami, l’eut questionnée, il prit la tante à l’écart, pour lui conseiller d’avertir sa nièce. C’était le flot de la puberté qui montait ; et il disait avoir vu, devant la débâcle de cette marée de sang, des jeunes filles tomber malades d’épouvante. La tante se défendit d’abord, jugeant la précaution exagérée, répugnant à des confidences pareilles : elle avait pour système d’éducation l’ignorance complète, les faits gênants évités, tant qu’ils ne s’imposaient pas d’eux-mêmes. Cependant, comme le médecin insistait, elle promit de parler, n’en fit rien le soir, remit ensuite de jour en jour. L’enfant n’était pas peureuse ; puis, bien d’autres n’avaient pas été prévenues. Il serait toujours temps de lui dire simplement que les choses étaient ainsi, sans s’exposer d’avance à des questions et à des explications inconvenantes.

Un matin, au moment où madame Chanteau quittait sa chambre, elle entendit des plaintes chez Pauline, elle monta très inquiète. Assise au milieu du lit, les couvertures rejetées, la jeune fille appelait sa tante d’un cri continu, blanche de terreur ; et elle écartait sa nudité ensanglantée, elle regardait ce qui était sorti d’elle, frappée d’une surprise dont la secousse avait emporté toute sa bravoure habituelle.

— Oh ! ma tante ! oh ! ma tante !

Madame Chanteau venait de comprendre d’un coup d’œil.

— Ce n’est rien, ma chérie. Rassure-toi.

Mais Pauline, qui se regardait toujours, dans son attitude raidie de blessée, ne l’entendait même pas.

— Oh ! ma tante, je me suis sentie mouillée, et