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LES ROUGON-MACQUART.

élargis par le besoin d’apprendre, le front serré entre ses deux mains que l’application glaçait. Lazare, aux beaux jours de flamme, avait acheté des volumes qui ne lui étaient d’aucune utilité immédiate, le Traité de physiologie, de Longuet, l’Anatomie descriptive, de Cruveilhier ; et, justement, ceux-là étaient restés, tandis qu’il remportait ses livres de travail. Elle les sortait, dès que sa tante tournait le dos, puis les replaçait, au moindre bruit, sans hâte, non pas en curieuse coupable, mais en travailleuse dont les parents auraient contrarié la vocation. D’abord, elle n’avait pas compris, rebutée par les mots techniques qu’il lui fallait chercher dans le dictionnaire. Devinant ensuite la nécessité d’une méthode, elle s’était acharnée sur l’Anatomie descriptive, avant de passer au Traité de physiologie. Alors, cette enfant de quatorze ans apprit, comme dans un devoir, ce que l’on cache aux vierges jusqu’à la nuit des noces. Elle feuilletait les planches de l’Anatomie, ces planches superbes d’une réalité saignante ; elle s’arrêtait à chacun des organes, pénétrait les plus secrets, ceux dont on a fait la honte de l’homme et de la femme ; et elle n’avait pas de honte, elle était sérieuse, allant des organes qui donnent la vie aux organes qui la règlent, emportée et sauvée des idées charnelles par son amour de la santé. La découverte lente de cette machine humaine l’emplissait d’admiration. Elle lisait cela passionnément, jamais les contes de fées, ni Robinson, autrefois, ne lui avaient ainsi élargi l’intelligence. Puis, le Traité de physiologie fut comme le commentaire des planches, rien ne lui demeura caché. Même elle trouva un Manuel de pathologie et de clinique médicale, elle descendit dans les maladies affreuses, dans les traitements de chaque décompo-