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Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/68

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LES ROUGON-MACQUART.

pas de mal. Sa passion purement cérébrale éclatait, aucune sensualité sournoise ne s’éveillait encore dans ses grands yeux clairs d’enfant. Elle avait trouvé sur la même planche, des romans dont elle s’était dégoûtée dès les premières pages, tellement ils l’ennuyaient, bourrés de phrases où elle ne comprenait rien. Sa tante, de plus en plus déconcertée, un peu tranquillisée cependant, se contenta de fermer l’armoire et de garder la clef. Huit jours après, la clef traînait de nouveau, et Pauline s’accordait de loin en loin, comme une récréation, de lire le chapitre des névroses, en songeant à son cousin, ou le traitement de la goutte, avec l’idée de soulager son oncle.

D’ailleurs, malgré les sévérités de madame Chanteau, on ne se gênait guère devant elle. Les quelques bêtes de la maison l’auraient instruite, si elle n’avait pas ouvert les livres. La Minouche surtout l’intéressait. Cette Minouche était une gueuse, qui, quatre fois par an, tirait des bordées terribles. Brusquement, elle si délicate, sans cesse en toilette, ne posant la patte dehors qu’avec des frissons, de peur de se salir, disparaissait des deux et trois jours. On l’entendait jurer et se battre, on voyait luire dans le noir, ainsi que des chandelles, les yeux de tous les matous de Bonneville. Puis, elle rentrait abominable, faite comme une traînée, le poil tellement déguenillé et sale, qu’elle se léchait pendant une semaine. Ensuite, elle reprenait son air dégoûté de princesse, elle se caressait au menton du monde, sans paraître s’apercevoir que son ventre s’arrondissait. Un beau matin, on la trouvait avec des petits, Véronique les emportait tous, dans un coin de son tablier, pour les jeter à l’eau. Et la Minouche, mère détestable, ne les cherchait même pas, accoutumée à en être débarrassée