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LA JOIE DE VIVRE.

ainsi, croyant que la maternité finissait là. Elle se léchait encore, ronronnait, faisait la belle, jusqu’au soir où, dévergondée, dans les coups de griffes et les miaulements, elle allait en chercher une ventrée nouvelle. Mathieu était meilleur père pour ces enfants qu’il n’avait pas faits, car il suivait le tablier de Véronique en geignant, il avait la passion de débarbouiller tous les petits êtres au berceau.

— Oh ! ma tante, cette fois, il faut lui en laisser un, disait à chaque portée Pauline, indignée et ravie des grâces amoureuses de la chatte.

Mais Véronique se fâchait.

— Non, par exemple ! pour qu’elle nous le traîne partout !… Et puis, elle n’y tient pas. Elle a tout le plaisir, sans avoir le mal.

C’était, chez Pauline, un amour de la vie, qui débordait chaque jour davantage, qui faisait d’elle « la mère des bêtes », comme disait sa tante. Tout ce qui vivait, tout ce qui souffrait, l’emplissait d’une tendresse active, d’une effusion de soins et de caresses. Elle avait oublié Paris, il lui semblait avoir poussé là, dans ce sol rude, au souffle pur des vents de mer. En moins d’une année, l’enfant de formes hésitantes était devenue une jeune fille déjà robuste, les hanches solides, la poitrine large. Et les troubles de cette éclosion s’en allaient, le malaise de son corps gonflé de sève, la confusion inquiète de sa gorge plus lourde, du fin duvet plus noir sur sa peau satinée de brune. Au contraire, à cette heure, elle avait la joie de son épanouissement, la sensation victorieuse de grandir et de mûrir au soleil. Le sang qui montait et qui crevait en pluie rouge, la rendait fière. Du matin au soir, elle emplissait la maison des roulades de sa voix plus grave, qu’elle