Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/96

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l’incertitude pesait à sa nature franche. L’aveu de son amour, la date fixée pour le mariage, semblaient avoir apaisé jusqu’aux troubles de sa chair ; et elle acceptait sans fièvre la floraison de la vie, ce lent épanouissement de son corps, cette poussée rouge de son sang, qui l’avaient un instant tourmentée le jour et violentée la nuit. N’était-ce point la loi commune ? il fallait grandir pour aimer. Du reste, ses rapports avec Lazare ne changeaient guère, tous deux continuaient leur existence de travaux communs : lui sans cesse affairé, prévenu contre un coup de désir par ses aventures d’hôtels garnis, elle si simple, si droite dans sa tranquillité de fille savante et vierge, qu’elle était comme protégée par une double armure. Parfois, cependant, au milieu de la chambre encombrée, ils se prenaient les mains, ils riaient d’un air tendre. C’était un traité de Phycologie qu’ils feuilletaient ensemble et qui rapprochait leurs chevelures ; ou bien, en examinant un flacon pourpré de brome, un échantillon violâtre d’iode, ils s’appuyaient un instant l’un à l’autre ; ou encore, elle se penchait près de lui, au-dessus des instruments qui encombraient la table et le piano, elle l’appelait pour qu’il la soulevât jusqu’à la plus haute planche de l’armoire. Mais il n’y avait, dans ces contacts de chaque heure, que la caresse permise, échangée sous des yeux de grands-parents, une bonne amitié chauffée à peine d’une pointe de joie sensuelle, entre cousin et cousine qui doivent s’épouser un jour. Ainsi que le disait madame Chanteau, ils étaient vraiment raisonnables. Lorsque Louise venait et qu’elle se mettait entre eux, avec ses jolies mines de fille coquette, Pauline ne paraissait même plus jalouse.