Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/97

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Toute une année passa de la sorte. L’usine fonctionnait à présent, et peut-être furent-ils gardés surtout par les tracas qu’elle leur causait. Après une réinstallation difficile des appareils, les premiers résultats semblèrent excellents ; sans doute, le rendement était médiocre ; mais, en perfectionnant la méthode, en redoublant de soins et d’activité, on devait arriver à une production énorme. Boutigny avait créé déjà de larges débouchés, trop larges même. La fortune leur parut certaine. Et, dès lors, cet espoir les entêta, ils réagirent contre les avertissements de ruine, l’usine devint un gouffre, où ils jetaient l’argent à poignées, toujours persuadés qu’ils le retrouveraient en un lingot d’or, au fond. Chaque sacrifice nouveau les enrageait davantage.

Madame Chanteau, les premières fois, ne prenait pas une somme, dans le tiroir du secrétaire, sans en avertir Pauline.

— Petite, il y a des paiements à faire samedi, il vous manque trois mille francs… Veux-tu monter avec moi, pour choisir le titre que nous allons vendre ?

— Mais tu peux bien le choisir toute seule, répondait la jeune fille.

— Non, tu sais que je ne fais rien sans toi. C’est ton argent.

Puis, madame Chanteau se relâcha de cette rigidité. Un soir, Lazare lui avoua une dette qu’il avait cachée à Pauline : cinq mille francs de tuyaux de cuivre, qu’on n’avait pas même utilisés. Et, comme la mère venait justement de visiter le tiroir avec la jeune fille, elle y retourna seule, elle prit les cinq mille francs, devant le désespoir de son fils, en se promettant de les remettre, au premier gain.