Page:Emile Zola - La Terre.djvu/312

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
312
LES ROUGON-MACQUART.

se rapprocher et se souffler leur violence avec leur haleine, sang contre sang, dans ce heurt de la brutale autorité que le père avait léguée au fils.

Fouan voulut se grandir, en essayant de retrouver son ancienne toute-puissance de chef de famille. Pendant un demi-siècle, on avait tremblé sous lui, la femme, les enfants, les bêtes, lorsqu’il détenait la fortune avec le pouvoir.

— Dis que tu as menti, sale cochon, dis que tu as menti, ou je vas te faire danser, aussi vrai que cette chandelle nous éclaire !

La main haute, il menaçait, du geste dont il les faisait tous rentrer en terre, autrefois.

— Dis que tu as menti…

Buteau, qui, au vent de la gifle, dans sa jeunesse, levait le coude et se garait, en claquant des dents, se contenta de hausser les épaules, d’un air de moquerie insultante.

— Si vous croyez que vous me faites peur !… C’était bon quand vous étiez le maître, des machines comme ça.

— Je suis le maître, le père.

— Allons donc, vieux farceur, vous n’êtes rien du tout… Ah ! vous ne voulez pas me foutre la paix !

Et, voyant la main vacillante du vieillard s’abaisser pour taper, il la saisit au vol, il la garda, l’écrasa dans sa poigne rude.

— Sacré têtu que vous êtes, faut donc qu’on se fâche pour vous entrer dans la caboche qu’on se fiche de vous, à cette heure !… Est-ce que vous êtes bon à quelque chose ? Vous coûtez, v’là tout !… Lorsqu’on a fait son temps et qu’on a passé la terre aux autres, on avale sa chique, sans les emmerder davantage !

Il secouait son père, en appuyant sur les mots ; puis, d’une dernière secousse, il l’envoya, grelottant, trébuchant, tomber à reculons sur une chaise, près de la fenêtre. Et le vieux resta là, à suffoquer une minute, vaincu, dans l’humiliation de son ancienne autorité morte. C’était fini, il ne comptait plus, depuis qu’il s’était dépouillé.

Un grand silence régna, tous demeuraient les mains bal-