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Page:Emile Zola - Le Docteur Pascal.djvu/232

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passé ? Et, devant la chaise, il n’y avait, sur le carreau, taché d’une mare de graisse, qu’un petit tas de cendre, à côté duquel gisait la pipe, une pipe noire, qui ne s’était pas même cassée en tombant. Tout l’oncle était là, dans cette poignée de cendre fine, et il était aussi dans la nuée rousse qui s’en allait par la fenêtre ouverte, dans la couche de suie qui avait tapissé la cuisine entière, un horrible suint de chair envolée, enveloppant tout, gras et infect sous le doigt.

C’était le plus beau cas de combustion spontanée qu’un médecin eût jamais observé. Le docteur en avait bien lu de surprenants, dans certains mémoires, entre autres celui de la femme d’un cordonnier, une ivrognesse qui s’était endormie sur sa chaufferette et dont on n’avait retrouvé qu’un pied et une main. Lui-même, jusque-là, s’était méfié, n’avait pu admettre, comme les anciens, qu’un corps, imprégné d’alcool, dégageât un gaz inconnu, capable de s’enflammer spontanément et de dévorer la chair et les os. Mais il ne niait plus, il expliquait tout d’ailleurs, en rétablissant les faits : le coma de l’ivresse, l’insensibilité absolue, la pipe tombée sur les vêtements qui prenaient feu, la chair saturée de boisson qui brûlait et se crevassait, la graisse qui se fondait, dont une partie coulait par terre, dont l’autre activait la combustion, et tout enfin, les muscles, les organes, les os qui se consumaient, dans la flambée du corps entier. Tout l’oncle tenait là, avec ses vêtements de drap bleu, avec la casquette de fourrure qu’il portait d’un bout de l’année à l’autre. Sans doute, dès qu’il s’était mis à brûler ainsi qu’un feu de joie, il avait dû culbuter en avant, ce qui expliquait comment la chaise se trouvait noircie à peine ; et rien ne restait de lui, pas un os, pas une dent, pas un ongle, rien que ce petit tas de poussière grise, que le courant d’air de la porte menaçait de balayer.