Page:Emile Zola - Le Docteur Pascal.djvu/237

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soulevait. Ses yeux s’étaient involontairement fixés sur les gants de sa mère, qui étaient noirs.

Justement, elle se désolait, d’une voix adoucie.

— Aussi, était-ce prudent, à son âge, de s’obstiner à vivre tout seul, comme un loup ! S’il avait eu seulement chez lui une servante !

Et le docteur alors parla, sans en avoir la nette conscience, dans un tel besoin irrésistible, qu’il fut tout effaré de s’entendre dire :

— Mais vous, ma mère, puisque vous y étiez, pourquoi ne l’avez-vous pas éteint ?

La vieille madame Rougon blêmit affreusement. Comment son fils pouvait-il savoir ? Elle le regarda un instant, béante ; tandis que Clotilde pâlissait comme elle, dans la certitude du crime, éclatante maintenant. C’était un aveu, ce silence terrifié qui était tombé entre la mère, le fils, la petite-fille, ce frissonnant silence où les familles enterrent leurs tragédies domestiques. Les deux femmes ne trouvaient rien. Le docteur, désespéré d’avoir parlé, lui qui évitait avec tant de soin les explications fâcheuses et inutiles, cherchait éperdument à rattraper sa phrase, lorsqu’une nouvelle catastrophe les tira de cette gêne terrible.

Félicité s’était décidée à reprendre Charles, ne voulant pas abuser de la bonne hospitalité de M. Maurin ; et, comme celui-ci, après le déjeuner, avait fait conduire le petit à l’Asile, pour qu’il passât une heure près de Tante Dide, il venait d’y envoyer sa servante, avec l’ordre de le ramener tout de suite. Ce fut donc à ce moment que cette servante, qu’ils attendaient dans le jardin, reparut, en sueur, essoufflée, bouleversée, criant de loin :

— Mon Dieu ! mon Dieu ! venez vite… M. Charles est dans le sang…

Ils s’épouvantèrent, ils partirent tous les trois pour l’Asile.