Page:Emile Zola - Le Docteur Pascal.djvu/249

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Moi, entendez-vous ! je sais mon compte à un centime près, tous les trois mois, et je vous dirais sur le bout du doigt les chiffres et les titres.

Dans sa désolation, un sourire inconscient était monté à sa face. C’était sa lointaine et entêtée passion satisfaite, ses quatre cents francs de gages à peine écornés, économisés, placés pendant trente ans, aboutissant enfin, par l’accumulation des intérêts, à l’énorme somme d’une vingtaine de mille francs. Et ce trésor était intact, solide, déposé à l’écart, dans un endroit sûr, que personne ne connaissait. Elle en rayonnait d’aise, elle évita d’ailleurs d’insister davantage.

Pascal se récriait.

— Eh ! qui vous dit que tout notre argent est perdu ! Monsieur Grandguillot avait une fortune personnelle, il n’a pas emporté, je pense, sa maison et ses propriétés. On verra, on tirera les affaires au clair, je ne puis m’habituer à le croire un simple voleur… Le seul ennui est qu’il va falloir attendre.

Il disait ces choses pour rassurer Clotilde, dont il voyait croître l’inquiétude. Elle le regardait, elle regardait la Souleiade, autour d’eux, seulement préoccupée de son bonheur, à lui, dans l’ardent désir de toujours vivre là, comme par le passé, de l’aimer toujours, au fond de cette solitude amie. Et lui-même, à vouloir la calmer, était repris de sa belle insouciance, n’ayant jamais vécu pour l’argent, ne s’imaginant pas qu’on pouvait en manquer et en souffrir.

— Mais j’en ai de l’argent ! finit-il par crier. Qu’est-ce qu’elle raconte donc, Martine, que nous n’avons plus un sou et que nous allons mourir de faim !

Et, gaiement, il se leva, il les força toutes les deux à le suivre.

— Venez, venez donc ! Je vais vous en montrer, de