Page:Emile Zola - Le Docteur Pascal.djvu/272

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pour dîner le soir. À quoi bon redouter la misère et se donner tant de peine, puisqu’il suffisait, pour goûter tout le bonheur possible, d’être ensemble ?

Lui, pourtant, s’effraya.

— Mon Dieu ! nous avions si peur de cette soirée ! Est-ce raisonnable d’être heureux ainsi ? Qui sait ce que demain nous garde ?

Mais elle lui mit sa petite main sur la bouche.

— Non, non ! demain, nous nous aimerons, comme nous nous aimons aujourd’hui… Aime-moi de toute ta force, comme je t’aime.

Et jamais ils n’avaient mangé de si bon cœur. Elle montrait son appétit de belle fille à l’estomac solide, elle mordait à pleine bouche dans les pommes de terre, avec des rires, les disant admirables, meilleures que les mets les plus vantés. Lui aussi avait retrouvé son appétit de trente ans. De grands coups d’eau pure leur semblaient divins. Puis, le raisin, comme dessert, les ravissait, ces grappes si fraîches, ce sang de la terre que le soleil avait doré. Ils mangeaient trop, ils étaient gris d’eau et de fruit, de gaieté surtout. Ils ne se souvenaient pas d’avoir fait un gala pareil. Leur premier déjeuner lui-même, avec tout un luxe de côtelettes, de pain et de vin, n’avait pas eu cette ivresse, ce bonheur de vivre, où la joie d’être ensemble suffisait, changeait la faïence en vaisselle d’or, la nourriture misérable en une céleste cuisine, comme les dieux n’en goûtent point.

La nuit s’était complètement faite, et ils n’avaient pas allumé de lampe, heureux de se mettre au lit tout de suite. Mais les fenêtres restaient grandes ouvertes sur le vaste ciel d’été, le vent du soir entrait, brûlant encore, chargé d’une lointaine odeur de lavande. À l’horizon, la lune venait de se lever, si pleine et si large, que toute la chambre était baignée d’une lumière d’argent, et qu’ils