Page:Emile Zola - Le Docteur Pascal.djvu/286

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Et elle coupa court d’un grand geste, elle écarta violemment toute discussion.

— D’ailleurs, à quoi bon discuter ?… Rien n’est plus simple, il n’y faut qu’un mot. Est-ce que tu veux me renvoyer ?

Il poussa un cri.

— Moi te renvoyer, grand Dieu !

— Alors, si tu ne me renvoies pas, je reste.

Elle riait à présent, elle courut à son pupitre, écrivit, au crayon rouge, deux mots en travers de la lettre de son frère : « Je refuse » ; et elle appela Martine, elle voulut absolument qu’elle reportât tout de suite cette lettre sous enveloppe. Lui, riait aussi, inondé d’une telle félicité, qu’il la laissa faire. La joie de la garder emportait jusqu’à sa raison.

Mais, la nuit même, quand elle fut endormie, quel remords d’avoir été lâche ! Une fois encore, il venait de céder à son besoin de bonheur, à cette volupté de la retrouver chaque soir, serrée contre son flanc, si fine et si douce dans sa longue chemise, l’embaumant de sa fraîche odeur de jeunesse. Après elle, jamais plus il n’aimerait ; et ce dont criait son être, c’était de cet arrachement de la femme et de l’amour. Une sueur d’agonie le prenait, lorsqu’il se l’imaginait partie et qu’il se voyait seul, sans elle, sans tout ce qu’elle mettait de caressant et de subtil dans l’air qu’il respirait, son haleine, son joli esprit, sa droiture vaillante, cette chère présence physique et morale, nécessaire maintenant à sa vie comme la lumière même du jour. Elle devait le quitter, et il fallait qu’il trouvât la force d’en mourir. Sans l’éveiller, tout en la tenant assoupie sur son cœur, la gorge soulevée d’un petit souffle d’enfant, il se méprisait pour son peu de courage, il jugeait la situation avec une terrible lucidité. C’était fini : une existence respectée,