Page:Emile Zola - Le Docteur Pascal.djvu/327

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avancé de la sclérose, la santé parfaite des autres organes. Sans doute, il fallait faire la part de l’inconnu, de ce qu’on ne savait pas, car l’accident brutal était toujours possible. Et tous deux en arrivèrent à discuter le cas, aussi tranquillement que s’ils s’étaient trouvés en consultation, au chevet d’un malade, pesant le pour et le contre, donnant chacun leurs arguments, fixant d’avance la terminaison fatale, selon les indices les mieux établis et les plus sages.

Pascal, comme s’il ne se fût pas agi de lui, avait repris son sang-froid, son oubli de lui-même.

— Oui, murmura-t-il enfin, vous avez raison, une année de vie est possible… Ah ! voyez-vous, mon ami, ce que je voudrais, ce seraient deux années, un désir fou, sans doute, une éternité de joie…

Et, s’abandonnant à ce rêve d’avenir :

— L’enfant naîtra vers la fin de mai… Ce serait si bon de le voir grandir un peu, jusqu’à ses dix-huit mois, à ses vingt mois, tenez ! pas davantage. Le temps seulement qu’il se débrouille et qu’il fasse ses premiers pas… Je n’en demande pas beaucoup, je voudrais le voir marcher, et après, mon Dieu ! après…

Il compléta sa pensée d’un geste. Puis, gagné par l’illusion :

— Mais deux années, ce n’est pas impossible. J’ai eu un cas très curieux, un charron du faubourg qui a vécu quatre ans, déjouant toutes mes prévisions… Deux années, deux années, je les vivrai ! Il faut bien que je les vive !

Ramond, qui avait baissé la tête, ne répondait plus. Un embarras le prenait, à l’idée de s’être montré trop optimiste ; et la joie du maître l’inquiétait, lui devenait douloureuse, comme si cette exaltation même, troublant un cerveau autrefois si solide, l’avait averti d’un danger sourd et imminent.