Page:Emile Zola - Le Rêve.djvu/144

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— Père, que fais-tu donc ? on ne t’entend plus.

Elle se tournait, apercevait le brodeur, les mains occupées à charger une broche, les yeux tendres, fixés sur sa femme.

— Je donne de l’or à ta mère.

Et, de la broche apportée, du remerciement muet d’Hubertine, du continuel empressement d’Hubert autour d’elle, un souffle tiède de caresse se dégageait, enveloppait Angélique et Félicien, penchés de nouveau sur le métier. L’atelier lui-même, l’antique pièce avec ses vieux outils, sa paix d’un autre âge, était complice. Il semblait si loin de la rue, reculé au fond du rêve, dans ce pays des bonnes âmes où règne le prodige, la réalisation aisée de toutes les joies.

Dans cinq jours, la mitre devait être livrée ; et Angélique, certaine d’avoir fini, de gagner même vingt-quatre heures, respira, s’étonna de trouver Félicien si près d’elle, accoudé au tréteau. Ils étaient donc camarades ? Elle ne se défendait plus contre ce qu’elle sentait de conquérant en lui, elle ne souriait plus de malice, à tout ce qu’il cachait et qu’elle devinait. Qu’était-ce donc qui l’avait endormie, dans son attente inquiète ? Et l’éternelle question revint, la question qu’elle se posait chaque soir, à son coucher : l’aimait-elle ? Pendant des heures, au fond de son grand lit, elle avait retourné les mots, cherchant des sens qui lui échappaient. Brusquement, cette nuit là, elle sentit