Page:Emile Zola - Le Rêve.djvu/242

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plus à cette heure : un souffle, sorti elle ne savait d’où, avait suffi ; et, d’un coup, elle était tombée à l’extrême misère, qui est de ne se croire pas aimé. Il le lui avait bien dit, autrefois : c’était l’unique douleur, l’abominable torture. Jusque-là, elle avait pu se résigner, elle attendait le miracle. Mais sa force s’en était allée avec la foi, elle roulait à une détresse d’enfant. Et la lutte douloureuse commença.

D’abord, elle fit appel à son orgueil : tant mieux, s’il ne l’aimait plus ! car elle était trop fière pour l’aimer encore. Et elle se mentait à elle-même, elle affectait d’être délivrée, de chantonner d’insouciance, pendant qu’elle brodait les armoiries des Hautecœur, auxquelles elle s’était mise. Mais son cœur se gonflait à l’étouffer, elle avait la honte de s’avouer qu’elle était assez lâche pour l’aimer toujours, l’aimer davantage. Durant une semaine, les armoiries, en naissant fil à fil sous ses doigts, l’emplirent d’un affreux chagrin. Écartelé, un et quatre, deux et trois, de Jérusalem et d’Hautecœur ; de Jérusalem, qui est d’argent à la croix potencée d’or, cantonnée de quatre croisettes de même ; d’Hautecœur, qui est d’azur à la forteresse d’or, avec un écusson de sable au cœur d’argent en abîme, le tout accompagné de trois fleurs de lis d’or, deux en chef, une en pointe. Les émaux étaient faits de cordonnet, les métaux de fil d’or et d’argent. Quelle misère de sentir trembler sa