Page:Emile Zola - Le Rêve.djvu/243

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main, de baisser la tête pour cacher ses yeux, que le flamboiement de ces armoiries aveuglait de larmes ! Elle ne songeait qu’à lui, elle l’adorait dans l’éclat de sa noblesse légendaire. Et, lorsqu’elle broda la devise : Si Dieu veut, je veux, en soie noire sur une banderole d’argent, elle comprit bien qu’elle était son esclave, que jamais plus elle ne se reprendrait : ses pleurs l’empêchaient de voir, tandis que, machinalement, elle continuait à piquer l’aiguille.

Alors, ce fut pitoyable, Angélique aima en désespérée, se débattit dans cet amour sans espoir, qu’elle ne pouvait tuer. Toujours, elle voulait courir à Félicien, le reconquérir en se jetant à son cou ; et, toujours, la bataille recommençait. Parfois, elle croyait avoir vaincu, il se faisait un grand silence en elle, il lui semblait se voir, comme elle aurait vu une étrangère, toute petite, toute froide, agenouillée en fille obéissante, dans l’humilité du renoncement : ce n’était plus elle, c’était la fille sage qu’elle devenait, que le milieu et l’éducation avaient faite. Puis, un flot de sang montait, l’étourdissait ; sa belle santé, sa jeunesse ardente galopaient en cavales échappées ; et elle se retrouvait avec son orgueil et sa passion, toute à l’inconnu violent de son origine. Pourquoi donc aurait-elle obéi ? Il n’y avait pas de devoir, il n’y avait que le libre désir. Déjà, elle apprêtait sa fuite, calculait l’heure favorable pour forcer la