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Page:Emile Zola - Le Rêve.djvu/68

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même, deux en chef, une en pointe… Ah ! c’était beau, il y a longtemps !

Il se tut, tapa de l’ongle sur le métier, pour en détacher les poussières. Puis, il reprit :

— À Beaumont, on raconte encore sur les Hautecœur une légende que ma mère me répétait souvent, quand j’étais petit… Une peste affreuse ravageait la ville, la moitié des habitants avait déjà succombé, lorsque Jean V, celui qui a rebâti la forteresse, s’aperçut que Dieu lui envoyait le pouvoir de combattre le fléau. Alors, il se rendit nu-pieds chez les malades, s’agenouilla, les baisa sur la bouche ; et, dès que ses lèvres les avaient touchés, en disant : « Si Dieu veut, je veux », les malades étaient guéris. Voilà pourquoi ces mots sont restés la devise des Hautecœur, qui, tous, depuis ce temps, guérissent la peste… Ah ! de fiers hommes ! une dynastie ! Monseigneur, lui, avant d’entrer dans les ordres, se nommait Jean XII, et le prénom de son fils doit être également suivi d’un chiffre, comme celui d’un prince.

Chacune de ses paroles berçait et prolongeait la rêverie d’Angélique. Elle répétait, de la même voix chantante :

— Oh ! ce que je voudrais, moi, ce que je voudrais…

Tenant la broche, sans toucher au fil, elle guipait l’or, en le conduisant de droite à gauche, sur le vélin, alternativement, et en le fixant, à chaque