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LES ROUGON-MACQUART.

barbue et jeté la vidure dans le seau. Elle glissa un coin de son tablier sous les ouïes, pour enlever quelques grains de sable. Puis, mettant elle-même le poisson dans le panier de l’Auvergnate :

— Là, ma belle, vous m’en ferez des compliments.

Mais, au bout d’un quart d’heure, la bonne accourut toute rouge ; elle avait pleuré, sa petite personne tremblait de colère. Elle jeta la barbue sur le marbre, montrant, du côté du ventre, une large déchirure qui entamait la chair jusqu’à l’arête. Un flot de paroles entrecoupées sortit de sa gorge serrée encore par les larmes.

— Madame Taboureau n’en veut pas. Elle dit qu’elle ne peut pas la servir. Et elle m’a dit encore que j’étais une imbécile, que je me laissais voler par tout le monde… Vous voyez bien qu’elle est abîmée. Moi, je ne l’ai pas retournée, j’ai eu confiance… Rendez-moi mes dix francs.

— On regarde la marchandise, répondit tranquillement la belle Normande.

Et, comme l’autre haussait la voix, la mère Méhudin se leva.

— Vous allez nous ficher la paix, n’est-ce pas ? On ne reprend pas un poisson qui a traîné chez les gens. Est-ce qu’on sait où vous l’avez laissé tomber, pour le mettre dans cet état ?

— Moi ! moi !

Elle suffoquait. Puis, éclatant en sanglots :

— Vous êtes deux voleuses, oui, deux voleuses ! Madame Taboureau me l’a bien dit.

Alors, ce fut formidable. La mère et la fille, furibondes, les poings en avant, se soulagèrent. La petite bonne, ahurie, prise entre cette voix rauque et cette voix flûtée, qui se la renvoyaient comme une balle, sanglotait plus fort.

— Va donc ! ta madame Taboureau est moins fraîche que ça ; faudrait la raccommoder pour la servir.