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LE VENTRE DE PARIS.

poires pendantes comme des seins vides, des abricots cadavéreux, d’un jaune infâme de sorcière. Mais, elle, faisait de son étalage une grande volupté nue. Ses lèvres avaient posé là une à une les cerises, des baisers rouges ; elle laissait tomber de son corsage les pêches soyeuses ; elle fournissait aux prunes sa peau la plus tendre, la peau de ses tempes, celle de son menton, celles des coins de sa bouche ; elle laissait couler un peu de son sang rouge dans les veines des groseilles. Ses ardeurs de belle fille mettaient en rut ces fruits de la terre, toutes ces semences, dont les amours s’achevaient sur un lit de feuilles, au fond des alcôves tendues de mousse des petits paniers. Derrière sa boutique, l’allée aux fleurs avait une senteur fade, auprès de l’arôme de vie qui sortait de ses corbeilles entamées et de ses vêtements défaits.

Cependant, la Sarriette, ce jour-là, était toute grise d’un arrivage de mirabelles, qui encombrait le marché. Elle vit bien que mademoiselle Saget avait quelque grosse nouvelle, et elle voulut la faire causer ; mais la vieille, en piétinant d’impatience :

— Non, non, je n’ai pas le temps… Je cours voir madame Lecœur. Ah ! j’en sais de belles !… Venez, si vous voulez.

À la vérité, elle ne traversait le pavillon aux fruits que pour racoler la Sarriette. Celle-ci ne put résister à la tentation. Monsieur Jules était là, se dandinant sur une chaise retournée, rasé et frais comme un chérubin.

— Garde un instant la boutique, n’est-ce pas ? lui dit-elle. Je reviens tout de suite.

Mais lui, se leva, lui cria de sa voix grasse, comme elle tournait l’allée :

— Eh ! pas de ça, Lisette ! Tu sais, je file, moi… Je ne veux pas attendre une heure comme l’autre jour… Avec ça que tes prunes me donnent mal à la tête.

Il s’en alla tranquillement, les mains dans les poches. La boutique resta seule. Mademoiselle Saget faisait courir la