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LE VENTRE DE PARIS.

Tu n’as pas honte, grande vaurienne, de le tourmenter dans cette saleté. Il a des ordures plein les genoux.

— Tiens ! dit Cadine effrontément, ça ne le tourmente pas. Il aime bien qu’on l’embrasse, parce qu’il a peur, maintenant, dans les endroits où il ne fait pas clair… N’est-ce pas, que tu as peur ?

Elle l’avait relevé ; il passait les mains sur son visage, ayant l’air de chercher les baisers que la petite venait d’y mettre. Il balbutia qu’il avait peur, tandis qu’elle reprenait :

— D’ailleurs, j’étais venue l’aider ; je gavais ses pigeons.

Florent regardait les pauvres bêtes. Sur des planches, autour de la resserre, étaient rangés des coffres sans couvercle, dans lesquels les pigeons, serrés les uns contre les autres, les pattes roidies, mettaient la bigarrure blanche et noire de leur plumage. Par moments, un frisson courait sur cette nappe mouvante ; puis, les corps se tassaient, on n’entendait plus qu’un caquetage confus. Cadine avait près d’elle une casserole, pleine d’eau et de grains ; elle s’emplissait la bouche, prenait les pigeons un à un, leur soufflait une gorgée dans le bec. Et eux, se débattaient, étouffant, retombant au fond des coffres, l’œil blanc, ivres de cette nourriture avalée de force.

— Ces innocents ! murmura Claude.

— Tant pis pour eux ! dit Cadine, qui avait fini. Ils sont meilleurs, quand on les a bien gavés… Voyez-vous, dans deux heures, on leur fera avaler de l’eau salée, à ceux-là. Ça leur donne la chair blanche et délicate. Deux heures après, on les saigne… Mais, si vous voulez voir saigner, il y en a là de tout prêts, auxquels Marjolin va faire leur affaire.

Marjolin emportait un demi-cent de pigeons dans un des coffres. Claude et Florent le suivirent. Il s’établit près d’une fontaine, par terre, posant le coffre à côté de lui, plaçant sur une sorte de caisse en zinc un cadre de bois grillé de traver-