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LES ROUGON-MACQUART.

ses minces. Puis, il saigna. Rapidement, le couteau jouant entre les doigts, il saisissait les pigeons par les ailes, leur donnait sur la tête un coup de manche qui les étourdissait, leur entrait la pointe dans la gorge. Les pigeons avaient un court frisson, les plumes chiffonnées, tandis qu’il les rangeait à la file, la tête entre les barreaux du cadre de bois, au-dessus de la caisse de zinc, où le sang tombait goutte à goutte. Et cela d’un mouvement régulier, avec le tic-tac du manche sur les crânes qui se brisaient, le geste balancé de la main prenant, d’un côté, les bêtes vivantes et les couchant mortes, de l’autre côté. Peu à peu, cependant, Marjolin allait plus vite, s’égayait à ce massacre, les yeux luisants, accroupi comme un énorme dogue mis en joie. Il finit par éclater de rire, par chanter : « Tic-tac, tic-tac, tic-tac, » accompagnant la cadence du couteau d’un claquement de langue, faisant un bruit de moulin écrasant des têtes. Les pigeons pendaient comme des linges de soie.

— Hein ! ça t’amuse, grande bête, dit Cadine qui riait aussi. Ils sont drôles, les pigeons, quand ils rentrent la tête, comme ça, entre les épaules, pour qu’on ne leur trouve pas le cou… Allez, ce n’est pas bon, ces animaux-là ; ça vous pincerait, si ça pouvait.

Et, riant plus haut de la hâte de plus en plus fiévreuse de Marjolin, elle ajouta :

— J’ai essayé, mais je ne vais pas si vite que lui… Un jour, il en a saigné cent en dix minutes.

Le cadre de bois s’emplissait ; on entendait les gouttes de sang tomber dans la caisse. Alors Claude, en se tournant, vit Florent tellement pâle qu’il se hâta de l’emmener. En haut, il le fit asseoir sur une marche de l’escalier.

— Eh bien, quoi donc ! dit-il en lui tapant dans les mains. Voilà que vous vous évanouissez comme une femme.

— C’est l’odeur de la cave, murmura Florent un peu honteux.