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LE VENTRE DE PARIS.


Ces pigeons, auxquels on fait avaler du grain et de l’eau salée, qu’on assomme et qu’on égorge, lui avaient rappelé les ramiers des Tuileries, marchant avec leurs robes de satin changeant dans l’herbe jaune de soleil. Il les voyait roucoulant sur le bras de marbre du lutteur antique, au milieu du grand silence du jardin, tandis que, sous l’ombre noire des marronniers, des petites filles jouent au cerceau. Et c’était alors que cette grosse brute blonde faisant son massacre, tapant du manche et trouant de la pointe, au fond de cette cave nauséabonde, lui avait donné froid dans les os ; il s’était senti tomber, les jambes molles, les paupières battantes.

— Diable ! reprit Claude quand il fut remis, vous ne feriez pas un bon soldat… Ah bien ! ceux qui vous ont envoyé à Cayenne sont encore de jolis messieurs, d’avoir eu peur de vous. Mais, mon brave, si vous vous mettez jamais d’une émeute, vous n’oserez pas tirer un coup de pistolet ; vous aurez trop peur de tuer quelqu’un.

Florent se leva, sans répondre. Il était devenu très-sombre, avec des rides désespérées qui lui coupaient la face. Il s’en alla, laissant Claude redescendre dans la cave ; et, en se rendant à la poissonnerie, il songeait de nouveau au plan d’attaque, aux bandes armées qui envahiraient le Palais-Bourbon. Dans les Champs-Élysées, le canon gronderait ; les grilles seraient brisées ; il y aurait du sang sur les marches, des éclaboussures de cervelle contre les colonnes. Ce fut une vision rapide de bataille. Lui, au milieu, très-pâle, ne pouvait regarder, se cachait la figure entre les mains.

Comme il traversait la rue du Pont-Neuf, il crut apercevoir, au coin du pavillon aux fruits, la face blême d’Auguste qui tendait le cou. Il devait guetter quelqu’un les yeux arrondis par une émotion extraordinaire d’imbécile. Il disparut brusquement, il rentra en courant à la charcuterie.