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LES ROUGON-MACQUART.

l’avons vu, un matin, les souliers percés, les habits couverts de poussière, avec l’air d’un voleur qui a fait un mauvais coup… Il me fait peur, ce garçon-là.

— Non, il est maigre, mais il n’est pas vilain homme, murmura la Sarriette.

Mademoiselle Saget réfléchissait. Elle pensait tout haut.

— Je cherche depuis quinze jours, je donne ma langue aux chiens… monsieur Gavard le connaît certainement… J’ai dû le rencontrer quelque part, je me souviens plus…

Elle fouillait encore sa mémoire, quand la Normande arriva comme une tempête. Elle sortait de la charcuterie.

— Elle est polie, cette grande bête de Quenu ! s’écria-t-elle, heureuse de se soulager. Est-ce qu’elle ne vient pas de me dire que je ne vendais que du poisson pourri ! Ah ! je vous l’ai arrangée !… En voilà une baraque, avec leurs cochonneries gâtées qui empoisonnent le monde !

— Qu’est-ce que vous lui aviez donc dit ? demanda la vieille, toute frétillante, enchantée d’apprendre que les deux femmes s’étaient disputées.

— Moi ! mais rien du tout ! pas ça, tenez !… J’étais entrée très-poliment la prévenir que je prendrais du boudin demain soir, et alors elle m’a agonie de sottises… Fichue hypocrite, va, avec ses airs d’honnêteté ! Elle payera ça plus cher qu’elle ne pense.

Les trois femmes sentaient que la Normande ne disait pas la vérité ; mais elles n’en épousèrent pas moins sa querelle avec un flot de paroles mauvaises. Elles se tournaient du côté de la rue Rambuteau, insultantes, inventant des histoires sur la saleté de la cuisine des Quenu, trouvant des accusations vraiment prodigieuses. Ils auraient vendu de la chair humaine que l’explosion de leur colère n’aurait pas été plus menaçante. Il fallut que la poissonnière recommençât trois fois son récit.