Page:Emile Zola - Pot-Bouille.djvu/138

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
138
LES ROUGON-MACQUART

folle, à l’entendre toujours sauter autour de moi.

L’architecte mâchonnait gravement le bout d’un cigare.

— C’est moi, dit-il, qui force Angèle à passer, toutes les après-midi, deux heures à la cuisine. Je veux qu’elle devienne une femme de ménage. Ça l’instruit… Elle ne sort jamais, mon cher, elle est continuellement sous notre aile. Vous verrez quel bijou nous en ferons.

Octave n’insista pas. Certains jours, Campardon lui paraissait très bête ; et, comme l’architecte le pressait pour aller entendre à Saint-Roch un grand prédicateur, il refusa, s’entêtant à ne point sortir. Après avoir averti madame Campardon qu’il ne viendrait pas dîner le soir, il remontait à sa chambre, lorsqu’il sentit la clef du grenier dans sa poche. Il préféra la descendre tout de suite.

Mais, sur le palier, un spectacle imprévu l’intéressa. La porte de la chambre louée au monsieur très distingué, dont on ne disait pas le nom, se trouvait ouverte ; et c’était un événement, car elle restait toujours close, comme barrée d’un silence de tombe. Sa surprise augmenta : il cherchait du regard le bureau du monsieur et découvrait à la place l’angle d’un grand lit, quand il vit sortir une dame mince, vêtue de noir, le visage caché sous une épaisse voilette. Derrière elle, la porte s’était refermée, sans bruit.

Alors, très intrigué, il descendit sur les talons de la dame, pour savoir si elle était jolie. Mais elle filait avec une légèreté inquiète, effleurant à peine la moquette de ses petites bottines, ne laissant d’autre trace, dans la maison, qu’un parfum évaporé de verveine. Comme il arrivait au vestibule, elle disparaissait, et il aperçut seulement M. Gourd, debout sous le porche, qui la saluait très bas, en ôtant sa calotte.