Page:Emile Zola - Pot-Bouille.djvu/180

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
180
LES ROUGON-MACQUART

qui les estimaient du coin de l’œil, tout en s’exclamant.

— Parfait ! un goût exquis !

Madame Josserand, rayonnante, étalait une robe mauve, d’un mauve cruel, qui la haussait et l’arrondissait encore, dans une majesté de tour. Elle pestait contre M. Josserand, appelait Hortense pour avoir son châle, défendait violemment à Berthe de s’asseoir.

— Méfie-toi ! tu vas écraser tes fleurs !

— Ne vous tourmentez pas, dit Clotilde de sa voix calme. Nous avons le temps… Auguste doit monter nous prendre.

On attendait dans le salon, lorsque, brutalement, Théophile entra, sans chapeau, l’habit de travers, la cravate blanche nouée en corde. Sa face aux poils rares, aux dents mauvaises, était livide ; ses membres d’enfant malade tremblaient de fureur.

— Qu’as-tu donc ? lui demanda sa sœur, étonnée.

— Ce que j’ai, ce que j’ai…

Mais une crise de toux lui coupa la parole, et il resta là une minute, étranglant, crachant dans son mouchoir, enragé de ne pouvoir lâcher sa colère. Valérie le regardait, troublée, avertie par un instinct. Enfin, il la menaça du poing, sans même voir la mariée et les dames qui l’entouraient.

— Oui, en cherchant partout ma cravate, j’ai trouvé une lettre devant l’armoire…

Il froissait un papier entre ses doigts fébriles. Sa femme avait pâli. Elle jugea la situation ; et, pour éviter le scandale d’une explication publique, elle passa dans la chambre que Berthe venait de quitter.

— Ah bien ! dit-elle simplement, j’aime mieux m’en aller, s’il devient fou.

— Laisse-moi ! criait Théophile à madame Duveyrier, qui tâchait de le faire taire. Je veux la confondre… Cette fois, j’ai une preuve, et il n’y a pas de doute, oh !