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Page:Emile Zola - Pot-Bouille.djvu/311

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POT-BOUILLE

nerveuse. Elle le regarda en face, toute blanche, résolue.

— À la fin, allez-vous me lâcher, avec vos vingt-sous !… Ce n’est pas vingt sous que je veux, c’est cinq cents francs par mois. Oui, cinq cents francs, pour ma toilette… Ah ! vous parlez d’argent dans la cuisine, en présence de la bonne ! Eh bien ! ça me décide à en parler aussi, moi ! Il y a longtemps que je me retiens… Je veux cinq cents francs.

Il restait béant devant cette demande. Et elle entama la grande querelle que, pendant vingt ans, sa mère avait faite tous les quinze jours à son père. Est-ce qu’il espérait la voir marcher nu-pieds ? Quand on épousait une femme, on s’arrangeait au moins pour l’habiller et la nourrir proprement. Plutôt mendier que de se résigner à cette vie de sans-le-sou ! Ce n’était point sa faute, à elle, s’il se montrait incapable dans son commerce ; oh ! oui, incapable, sans idées, sans initiative, ne sachant que couper les liards en quatre. Un homme qui aurait dû mettre sa gloire à faire vite fortune, à la parer comme une reine, pour tuer de rage les gens du Bonheur des Dames ! Mais non ! avec une si pauvre tête, la faillite devenait certaine. Et, de ce flot de paroles, montaient le respect, l’appétit furieux de l’argent, toute cette religion de l’argent dont elle avait appris le culte dans sa famille, en voyant les vilenies où l’on tombe pour paraître seulement en avoir.

— Cinq cents francs ! dit enfin Auguste. J’aimerais mieux fermer le magasin.

Elle le regarda froidement.

— Vous refusez. C’est bon, je ferai des dettes.

— Encore des dettes, malheureuse !

Dans un mouvement de brusque violence, il la saisit par les bras, la poussa contre le mur. Alors, sans crier, étranglée de colère, elle courut ouvrir la fenêtre,