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POT-BOUILLE

Hortense, sans s’émouvoir, était entrée.

— Je n’avais pas besoin d’écouter, on vous entend du fond de la cuisine. La bonne se tord… D’ailleurs, je suis d’âge à être mariée, je puis bien savoir.

— Verdier, n’est-ce pas ? reprit la mère avec amertume. Voilà les satisfactions que tu me donnes, toi aussi… Maintenant, tu attends la mort d’un mioche. Tu peux attendre, il est gros et gras, on me l’a dit. C’est bien fait.

Tout un flot de bile avait jauni le visage maigre de la jeune fille. Elle répondit, les dents serrées :

— S’il est gros et gras, Verdier peut le lâcher. Et je le lui ferai lâcher plus tôt qu’on ne pense, pour vous attraper tous… Oui, oui, je me marierai seule. Ils sont trop solides, les mariages que tu bâcles !

Puis, comme sa mère revenait sur elle :

— Ah ! tu sais, on ne me gifle pas, moi !… Prends garde.

Elles se regardèrent fixement, et madame Josserand céda la première, cachant sa retraite sous un air de domination dédaigneuse. Mais le père avait cru à un recommencement de la bataille. Alors, pris entre les trois femmes, lorsqu’il vit cette mère et ces filles, toutes les créatures qu’il avait aimées, finir par se manger entre elles, il sentit un monde crouler sous lui, il s’en alla de son côté, se réfugia au fond de la chambre, comme frappé à mort et désireux d’y mourir seul. Il répétait au milieu de ses sanglots :

— Je ne peux plus… je ne peux plus…

La salle à manger retomba dans le silence. Berthe, la joue contre le bras, soulevée encore de longs soupirs nerveux, se calmait. Tranquillement, Hortense s’était assise de l’autre côté de la table, beurrant un reste de rôtie, afin de se remettre. Ensuite, elle désespéra sa sœur par des raisonnements tristes : ça