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LES ROUGON-MACQUART

depuis huit jours, un vieux très riche voulait entretenir madame. Alors, chassé, n’ayant plus de niche où vivre chaudement, Duveyrier, après avoir battu les trottoirs, était entré dans une boutique perdue acheter un revolver de poche. La vie devenait trop triste, il pourrait au moins la quitter, quand il aurait trouvé un bon endroit. Ce choix d’un coin tranquille le préoccupait, en rentrant rue de Choiseul d’un pas machinal, pour assister au convoi de M. Josserand. Puis, derrière le corps, il avait eu l’idée brusque de se tuer au cimetière : il s’en irait au fond, se cacherait derrière une tombe ; cela flattait son goût du romanesque, le besoin d’un idéal tendre et romantique, qui désolait son existence, sous la rigidité bourgeoise de son attitude. Mais, devant le cercueil qu’on descendait, il s’était mis à trembler, saisi du froid de la terre. Décidément, l’endroit ne valait rien, il fallait chercher ailleurs. Et, revenu plus malade, envahi par l’idée fixe, il réfléchissait sur une chaise du cabinet de toilette, discutant le meilleur coin de la maison : peut-être dans la chambre, au bord du lit, ou plus simplement à la place même où il se trouvait, sans bouger.

— Auriez-vous l’obligeance de me laisser seule ? lui dit Clotilde.

Il tenait déjà le revolver dans sa poche.

— Pourquoi ? demanda-t-il avec effort.

— Parce que j’ai besoin d’être seule.

Il crut qu’elle désirait changer de robe et qu’elle ne voulait même plus lui montrer ses bras nus, tant il la répugnait. Un instant, il la regarda de ses yeux troubles, si grande, si belle, le teint d’une pureté de marbre, les cheveux noués en tresses d’or fauve. Ah ! si elle avait consenti, comme tout se serait arrangé ! Il se leva en trébuchant, ouvrit les bras, tâcha de la saisir.

— Quoi donc ? murmura-t-elle, surprise. Que vous