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POt-BOUILLE

chose à la figure de sa maîtresse, qui abusait vraiment de son état pour faire croire au quartier qu’elle la nourrissait enfin.

Mais, dès ce moment, une terreur l’hébéta. Les idées de son village repoussaient au fond de ce crâne obtus. Elle se crut damnée, elle s’imagina que les gendarmes viendraient la prendre, si elle avouait sa grossesse. Alors, toute sa ruse de sauvage fut employée à la dissimuler. Elle cacha les nausées, les maux de tête intolérables, la constipation terrible dont elle souffrait ; deux fois, elle crut mourir devant son fourneau, pendant qu’elle tournait des sauces. Heureusement, elle porta dans les flancs, le ventre s’élargit sans trop avancer ; et jamais madame n’eut un soupçon, tant elle était fière de cet embonpoint prodigieux. La malheureuse, du reste, se serrait à étouffer. Elle trouvait son ventre raisonnable ; seulement, il lui semblait bien lourd tout de même, quand elle devait laver sa cuisine. Les deux derniers mois furent affreux de douleurs endurées, avec une obstination de silence héroïque.

Ce soir-là, Adèle monta se coucher vers onze heures. La pensée de la soirée du lendemain la terrifiait : encore trimer, encore être bousculée par Julie ! et elle ne pouvait plus aller, elle avait tout le bas en compote. Cependant, les couches, pour elle, restaient lointaines et confuses ; elle aimait mieux ne pas y réfléchir, elle préférait garder ça longtemps encore, avec l’espoir que ça finirait par s’arranger. Aussi n’avait-elle fait aucun préparatif, ignorante des symptômes, incapable de se rappeler ni de calculer une date, sans idée, sans projet. Elle n’était bien que dans son lit, allongée sur les reins. Comme la gelée prenait depuis la veille, elle garda ses bas pour se coucher, souffla sa bougie, attendit d’avoir chaud. Enfin, elle s’endormait, lorsque de légères dou-