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LES ROUGON-MACQUART.

leur gauche ; c’étaient, ce jour-là, deux diplomates étrangers, une jeune Américaine et la femme d’un ministre. Derrière, venaient les autres invités, à leur guise, chacun tenant à son bras la dame qu’il lui avait plu de choisir. Et, lentement, le défilé s’organisa.

L’entrée dans la salle à manger fut d’une grande pompe. Cinq lustres flambaient au-dessus de la longue table, allumant les pièces d’argenterie du surtout, des scènes de chasse, avec le cerf au départ, les cors sonnant l’hallali, les chiens arrivant à la curée. La vaisselle plate mettait au bord de la nappe un cordon de lunes d’argent ; tandis que les flancs des réchauds où se reflétait la braise des bougies, les cristaux ruisselants de gouttes de flammes, les corbeilles de fruits et les vases de fleurs d’un rose vif, faisaient du couvert impérial une splendeur dont la clarté flottante emplissait l’immense pièce. Par la porte ouverte à deux battants, le cortége débouchait, après avoir traversé la salle des gardes, d’un pas ralenti. Les hommes se penchaient, disaient un mot, puis se redressaient, dans le secret chatouillement de vanité de cette marche triomphale ; les dames, les épaules nues, trempées de clartés, avaient une douceur ravie ; et, sur les tapis, les jupes traînantes, espaçant les couples, donnaient une majesté de plus au défilé, qu’elles accompagnaient de leur murmure d’étoffes riches. C’était une approche presque tendre, une arrivée gourmande dans un milieu de luxe, de lumière et de tiédeur, comme un bain sensuel où les odeurs musquées des toilettes se mêlaient à un léger fumet de gibier, relevé d’un filet de citron. Lorsque, sur le seuil, en face du développement superbe de la table, une musique militaire, cachée au fond d’une galerie voisine, les accueillait d’une fanfare, pareille au signal de quelque gala de féerie, les invités, un peu gênés par leurs culottes