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SON EXCELLENCE EUGÈNE ROUGON.

— Vous avez eu tort. Il est mauvais comme la gale.

L’ingénieur en chef était un homme long et maigre, qui avait de grandes prétentions à l’ironie. Il parlait lentement, en tordant le coin de sa bouche, toutes les fois qu’il voulait lancer une épigramme. Il commença par écraser M. Kahn sous les éloges. Puis, les allusions méchantes arrivèrent. Il jugea en quelques mots le projet de chemin de fer, avec ce dédain des ingénieurs du gouvernement pour les travaux des ingénieurs civils. Il rappela le contre-projet de la compagnie de l’Ouest, qui devait passer par Thouars, et insista, sans paraître y mettre de malice, sur le coude du tracé de M. Kahn, desservant les hauts fourneaux de Bressuire. Le tout sans brutalité aucune, mêlé de phrases aimables, procédant par coups d’épingle, sentis des seuls initiés. Il fut plus cruel encore en finissant. Il parut regretter que « l’illustre ministre » vînt se compromettre dans une affaire dont le côté financier donnait des inquiétudes à tous les hommes d’expérience. Il faudrait des sommes énormes ; la plus grande honnêteté, le plus grand désintéressement seraient nécessaires. Et il laissa tomber cette dernière phrase, la bouche tordue :

— Ces inquiétudes sont chimériques, nous sommes complétement rassurés en voyant, à la tête de l’entreprise, un homme dont la belle situation de fortune et la haute probité commerciale sont bien connues dans le département.

Un murmure d’approbation courut. Seules quelques personnes regardaient M. Kahn, qui s’efforçait de sourire, les lèvres blanches. Rougon avait écouté en fermant les yeux à demi, comme gêné par la grande lumière. Quand il les rouvrit, ses yeux pâles étaient devenus noirs. Il comptait d’abord parler très-brièvement. Mais il avait maintenant un des siens à défendre.